Les sculptures reposent sur de larges buffets garnis de livres anciens dans la bibliothèque du musée d’art Riverbrink, à Queenston, au sud de Niagara-on-the-Lake. Le vieux pionnier canadien fume sa pipe pendant que L’essoucheur et La glaneuse s’épuisent à la tâche, sous le regard impassible du Père Fleury, de L’hydrographe et de La modèle.
La série de bronzes signés de l’artiste québécois Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté est impressionnante. Elle fait partie des quelque 1400 œuvres d’art canadiennes, françaises, britanniques et américaines que compte la collection de l’avocat de London, Samuel Weir, dont la maison de campagne est devenue un musée, après sa mort en 1981.
Une quinzaine de bronzes de Suzor-Coté sont rassemblés ici, en comptant le plus célèbre d’entre eux, exposé à l’écart, au premier étage. Femmes de Caughnawaga a été réalisé dans les années 1920. C’est à cette période que le peintre accompli, de retour de France, s’est tourné vers la sculpture avec toujours la même préoccupation : représenter le peuple.
Samuel Weir a commencé à acquérir ces bronzes dans les années 1940, après la mort de Suzor-Coté. « Il était autorisé à pratiquer le droit au Québec et avant d’acheter le terrain à Queenston, il avait envisagé une propriété de vacances sur l’île d’Orléans. Il a acquis aussi du mobilier québécois, mais l’accent mis sur Suzor peut être dû au goût personnel et à la mort de l’artiste en 1937, explique la conservatrice du musée Debra Antoncic.
À la fin des années 1970, M. Weir avait commandé plusieurs autres bronzes de la fonderie que Suzor utilisait de son vivant, mais la commission a été retardée par certaines difficultés avec le gouvernement canadien et les douanes sur l’importation d’œuvres d’art. La Fondation Samuel-Weir – qui gère le musée et la collection – a décidé d’aller de l’avant avec la commission en 1981, avec l’idée d’achever un projet initié par le collectionneur. Ceux-ci sont entrés dans la collection en 1987. »
Tout autour des sculptures, les étagères sont pleines de livres, près de 4000, dont plusieurs éditions de Maria Chapdelaine, le roman à succès écrit au Québec par le Français Louis Hémon, illustré par Suzor-Coté et Clarence Gagnon. On trouve même des livres rares en français publiés au XVIIe siècle, tel cet exemplaire du traité entre le roi de France et les Iroquois.
La découverte continue au premier niveau où le public peut découvrir une pléiade de toiles représentant les chutes du Niagara, comme celle d’Hippolyte Sebron. Dans cette huile exécutée en 1852, l’élève de Louis Daguerre, à l’origine peintre décoratif, fait ressortir un fascinant jeu de lumière au-dessus du « fer à cheval » en furie.
Au niveau suivant, on tombe cette fois nez à nez avec L’enfant au biscuit de Pierre-Auguste Renoir, un des pères fondateurs – au côté des Monet, Gauguin et autres Cézanne – de l’Impressionnisme. Oui, il y a un Renoir dans le Niagara.
La toile exécutée en 1898 dans la période de maturité du peintre français (1890-1900) est exceptionnelle à double titre. Elle se singularise dans le mouvement impressionniste non seulement par son sujet (Renoir a toujours préféré peindre des portraits plutôt que des paysages), mais aussi par sa technique qui emprunte au style ingresque.
« Sam Weir était un collectionneur astucieux qui regardait attentivement les prix des ventes aux enchères et était conscient de ce que les autres collectionneurs achetaient, rapporte la conservatrice du musée Debra Antoncic. Il considérerait différentes œuvres qui, selon lui, étaient d’un bon rapport et ne seraient pas destinées à être emportées par la passion pour un travail particulier. Par exemple, dans une lettre à un ami, il mentionne les prix des impressionnistes français comme étant trop élevés et il ne sait pas comment on peut se les permettre! À la lumière de cela, il se peut qu’Armand Guillaumin ait attiré le collectionneur parce qu’il n’était pas aussi connu que les autres impressionnistes et moins cher. »
Le premier étage offre aussi une imprenable Vue sur Montréal, une aquarelle réalisée en 1920 par le Québécois Marc-Aurèle Fortin et acquise par le musée dans une galerie de Montréal en 1965. « À cette époque, Sam Weir s’était lancé dans un projet d’acquisition d’une collection d’artefacts d’art canadien depuis les premiers contacts européens jusqu’à nos jours. Dans sa sélection d’artistes, il a suivi le canon de l’art canadien tel qu’il a été développé par Russell Harper et d’autres dans les années 1950 et 1960. »
La collection comprend également Autoportrait de l’artiste autochtone Zacharie Vincent, Bord de la Creuse, réalisée en 1919 par le peintre impressionniste (et graveur de talent) Armand Guillaumin et une myriade de toiles de grands peintres comme Edgar Degas, Tom Thompson ou encore Homer Watson qui, réunis en ce lieu singulier, révèle la richesse historique d’un Canada qui s’est bâti dans la diversité.
Photo (couverture) : Père Fleury (1912), un bronze de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté