La nouvelle ministre fédérale des Finances sera confrontée à plusieurs défis de taille, alors que le Canada navigue à vue sur une mer d’incertitude pandémique, dans les circonstances économiques les plus difficiles depuis la Grande Dépression des années 1930.

Chrystia Freeland, qui a été assermentée mardi après la démission de Bill Morneau lundi soir, devra continuer à gérer la relance économique, alors que plus de 40 % des trois millions de travailleurs canadiens qui avaient été jetés au chômage au printemps étaient toujours sans emploi à la mi-juillet.

Or, moins du tiers des 4,7 millions de Canadiens qui recevaient la Prestation canadienne d’urgence de 2000 $ par mois au début du mois d’août seront admissibles à l’assurance-emploi lorsque cette PCU prendra fin le 26 septembre : la transition vers l’assurance-emploi sera donc un autre défi majeur pour ces Canadiens – et pour la nouvelle ministre.

Pendant ce temps, le spectre du protectionnisme américain continue de peser lourd, alors que le président Donald Trump a réintroduit plus tôt ce mois-ci les droits de douane sur l’aluminium canadien – essentiellement québécois. Or, le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, nourrit lui aussi des sentiments protectionnistes, ce qui complique davantage les relations commerciales entre les deux pays.

Il faudra également se pencher sur la préparation d’un budget où l’on devra déterminer s’il faut renforcer ou non le filet de sécurité sociale au pays.

« Les nombreuses années de sous-investissement dans les services publics sont revenues nous hanter », a souligné Sheila Block, économiste principale au Centre canadien de politiques alternatives (CCPA).

Le taux de chômage se situe actuellement à 10,9 %, selon les plus récentes données de Statistique Canada – une statistique alarmante alors que les coûts entourant le logement continuent de grimper.

Les changements potentiels à l’assurance-emploi – les seuils d’heures travaillées, les montants des paiements et l’inclusion des travailleurs autonomes et d’autres catégories de travailleurs – relèvent de la compétence du ministre de l’Emploi, « mais cela finit par se retrouver dans la cour du (ministère) des Finances », a souligné Mme Block.

Des changements en matière de fiscalité?

Depuis le mois de mars, Ottawa a délié les cordons de la bourse dans le but de stimuler l’économie, ce qui devrait se traduire par un déficit projeté de 343 milliards $, une augmentation de plus de 1000 % par rapport à l’année précédente.

Une grande partie des dépenses ont été consacrées à la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) destinée aux entreprises en difficulté. Cette mesure a été prolongée au moins jusqu’en décembre. Ce programme devrait coûter environ 67,9 milliards $ d’ici la fin de l’année, selon un rapport publié la semaine dernière par le Directeur parlementaire du budget.

Selon Douglas Porter, économiste en chef de la Banque de Montréal, la question à long terme est de savoir si la flambée des dépenses publiques liées au coronavirus se transformera en une tendance plus permanente, avec des implications sur la fiscalité et la dette nationale.

Malgré une hausse draconienne, le ratio de la dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) demeure bien en deçà des niveaux jugés préoccupants par le Fonds monétaire international et les sommets atteints au milieu des années 1990.

Les taux d’intérêt sont également à des niveaux historiquement bas, ce qui fait diminuer les coûts d’emprunt.

De l’avis de Derek Holt, vice-président et directeur des études économiques à la Banque Scotia, la démission de M. Morneau pourrait paver la voie à des changements en matière de fiscalité.

La démission de M. Morneau pourrait laisser présager un doublement du programme « d’équité », avec « plus d’activisme fiscal » comme résultat probable, a déclaré Derek Holt, vice-président de la division Économie de la Banque Scotia.

« Le moment est bien choisi, car une démission en août laisse suffisamment de temps pour déployer un changement important de l’orientation budgétaire avant le budget d’automne, qui n’a pas été confirmé, une mise à jour (économique) ou un discours du Trône », a-t-il souligné, dans une note envoyée à ses clients.

En plus de son expérience acquise dans le secteur du journalisme financier, Mme Freeland a également mené d’importantes négociations commerciales lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangères.

« Ses compétences en communication et ses antécédents en tant que journaliste financière et politicienne lui seront utiles dans ce rôle, a souligné M. Holt. Mme Freeland pourrait bien représenter la meilleure chance – sinon la seule – de voir une femme (devenir première ministre du Canada) dans un avenir raisonnable. »

Certains anciens ministres des Finances ont décroché ce poste après un passage dans le monde des affaires, comme M. Morneau et Paul Martin. D’autres, comme Jean Chrétien, Jim Flaherty et John Manley, se sont retrouvés grand argentier du pays sans aucune expérience préalable de direction.

Mme Freeland est la première femme à occuper ce poste à Ottawa et elle dit qu’elle tient compte de ce détail de l’histoire. « Il était plus que temps de briser ce plafond de verre », a-t-elle dit en conférence de presse, aux côtés du premier ministre, mardi après-midi.

« Le défi économique provoqué par le nouveau coronavirus frappe particulièrement fort les femmes, frappe particulièrement fort les mères (…) Je suis heureuse d’avoir l’opportunité de mettre à profit mon expérience de femme et de mère pour faire face à cet important défi », a-t-elle ajouté.

SOURCE – Christopher Reynolds, La Presse canadienne

(Crédit photo : Facebook de Mme Freeland)