Six monologues, six objets de réflexion, mais une seule source d’inspiration : le pamphlet Indignez-vous! du diplomate français Stéphane Hessel (1917-2013). En fait, il serait un peu court de prétendre que ce phénomène littéraire fut la seule plateforme sur laquelle s’est basé Saïd Ben pour sa pièce présentée le 15 avril dernier à l’invitation du Centre français Hamilton. 

La mondialisation peut être décortiquée sous tellement de facettes que le sujet en est presque inépuisable. Reprenant, pour son spectacle, le titre du manifeste de Stéphane Hessel afin de mettre en lumière combien ces quelques pages ont servi de ferment à sa démarche, Saïd Ben y ajoute son grain de sel par l’entremise de divers personnages, tantôt comiques, tantôt tragiques, mais qui toujours interpellent le spectateur.

Ainsi, le premier tableau, à saveur dramatique, mettait en scène un travailleur d’usine entre deux âges qui a perdu son emploi suite à des compressions, un scénario typique des pays industrialisés. 

Le deuxième tableau réunissait, dans une veine comique et surréaliste, l’inénarrable duo formé de Don Quichotte et Sancho Pansa, participant à une manifestation du mouvement des Indignés. 

Le troisième monologue, dans le registre de la comédie dramatique, synthétisait le parcours d’un maghrébin tentant d’immigrer illégalement en Europe. 

Dans la quatrième histoire, un inquiétant émir d’une monarchie du Golfe étendait sans vergogne sa mégalomanie et sa soif de conquête financière et consumériste. 

La cinquième scène, une critique grinçante de l’imposture humanitaire, rassemblait Nicolas Sarkozy et Bernard-Henri Lévy sur un plateau de télévision. 

C’est finalement par un monologue sur le bonheur que s’est conclue la version théâtrale de Indignez-vous! telle que conçue par Saïd Ben.

La pièce a évolué avec le temps, d’abord par souci de rester collée à l’actualité, mais aussi pour des impératifs pratiques. Conçue à l’origine pour deux comédiens, l’œuvre fut remaniée en profondeur afin de pouvoir être interprétée par un seul. Ce défi plaît à Saïd Ben qui y voit un moyen de condenser le discours et de focaliser davantage sur l’émotionnel plutôt que sur le théâtral. Le format non-conventionnel de la pièce, une succession de tableaux d’environ dix minutes chacun, permettait d’agencer la forme à la diversité du contenu, soit le thème de la mondialisation. « À l’intérieur de ce sujet cadre, il y a une multitude de situations que nous vivons mal et qui nous oppressent », rappelle Saïd Ben. Plus dépouillée, la formule du café-théâtre permet de voyager, métaphoriquement parlant, plus facilement.

« Je voulais parler d’un sujet grave en y apportant les ingrédients du divertissement », résume l’auteur. Stimulant mélange qui interpelle tout le monde, d’autant plus que la mondialisation a justement pour finalité d’englober toute âme qui vive. Ce qui a vocation d’universalité appelle inévitablement certains questionnements philosophiques, et l’œuvre de Saïd Ben, particulièrement le sixième tableau, ouvre une porte sur cet univers : « Je voulais, avec la notion abstraite de bonheur, ouvrir un débat avec le public : qu’est-ce qu’on attend de la vie, des choses, des institutions? » La perte d’indépendance, la standardisation, la dépossession, etc., autant de thèmes qui peuvent être analysés et pour lesquels les motifs d’indignation ne manquent pas.

L’indignation : voilà justement l’étincelle qui peut mettre le feu aux poudres d’une réflexion enflammée ou d’un activisme ardent. Mais point besoin d’actes héroïques pour être porteur d’une grande cause : de petits gestes au quotidien peuvent être autant de démonstrations de résistance. C’est le côté créatif de l’indignation, dont la pièce, présentée en partenariat entre le Théâtre de l’Atelier 83 et le Centre français Hamilton, en était un exemple.