Le temps passe-t-il plus lentement en confinement? C’est du moins l’impression qu’avaient quelque 4400 sujets français qui ont collaboré à une enquête de la professeure Sylvie Droit-Volet, de l’Université Clermont Auvergne.
Les participants, qui comptaient près de 80 % de femmes, ont rapporté que, selon eux, le temps passait plus rapidement avant le confinement. Le sentiment de lenteur persistait, peu importe qu’on parle de la durée perçue d’une journée ou d’une semaine, même si le temps semblait passer plus rapidement quand on évoquait une plus longue période de temps.
« On a vraiment le sentiment que le temps traîne pendant le confinement, qu’il y a un vrai ralentissement par rapport au temps qu’il y avait avant le confinement », a résumé la professeure Droit-Volet, rejointe en France.
Il va de soi, dans les faits, que le temps ne passe ni plus ni moins rapidement en confinement qu’avant. Chaque minute dure encore une minute et chaque heure dure encore une heure.
On parle plutôt ici de la perception qu’ont les gens du passage du temps, a précisé Mme Droit-Volet, une perception qui peut être influencée par plusieurs facteurs.
« Un des prédicteurs, c’est l’ennui, a-t-elle dit. L’ennui va s’expliquer en partie par le manque d’activités, mais ça va aussi s’expliquer par des émotions, par le fait que les gens se sentent moins heureux. »
Une sensation bien connue
Presque tous seront familiers avec cette sensation d’une journée qui paraît interminable tellement nous ne savons plus comment occuper nos dix doigts.
« L’association la plus importante rapportée (dans l’enquête) est que les gens qui s’ennuient ont l’impression que le temps passe très lentement, ce qui n’est pas surprenant en soi, a commenté la docteure Diane Boivin, une experte du rythme circadien à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.
« Les chercheurs rapportent que quand les gens s’ennuient, ils ont l’impression que le temps passe plus lentement. Ça montre qu’il y a un aspect psychologique qui est impliqué dans l’évaluation que les individus font de l’organisation temporelle de leur journée. »
La rapidité avec laquelle le confinement est arrivé n’a pas donné aux gens la chance de se préparer et de s’adapter, croit-t-elle.
Contrairement à une retraite qu’on voit venir et qu’on planifie, le confinement a été « brutal », privant une bonne partie de la population des activités qui régissaient essentiellement son temps.
« Du jour au lendemain ils se sont retrouvés à la maison avec peu d’activités, a-t-elle dit. Jusqu’à présent c’était les conditions de travail qui définissaient leur activité, comme si leur activité était déterminée par l’extérieur. Et d’un seul coup, ils se retrouvent à devoir être maîtres de leur temps. (…) Les gens ont dû se réorganiser, réfléchir à comment remplir de nouveau ce temps-là. »
Ce manque d’activité a provoqué des troubles du sommeil chez certains quand leur horaire habituel a été complètement chamboulé, « et du même coup, quand on a mal dormi, on n’est pas heureux, on n’est pas bien et on va l’exprimer », a ajouté Mme Droit-Volet.
Tristesse
D’ailleurs, rappelle la docteure Boivin, « une littérature montre que cette expérience de la perception temporelle est affectée par l’état psychologique des individus. C’est sûr que la baisse des activités peut avoir des impacts sur la santé mentale, le niveau d’anxiété et le niveau d’ennui que les gens ressentent. L’étude démontre que ça affecte la manière avec laquelle ils disent vivre leur expérience du passage du temps. »
Il est difficile de déterminer si l’ennui est source de tristesse, ou si c’est plutôt la tristesse qui est source d’ennui. Chose certaine, les gens tristes ont l’impression que le temps passe plus lentement, ce qui pourrait avoir des répercussions à long terme sur leur santé mentale.
« Conséquemment, peut-on lire dans l’étude de Mme Droit-Volet, une expérience d’ennui pendant le confinement et un jugement que le temps passe plus lentement ont accentué la tristesse et pourraient mener à une dépression pathologique. »
Reste maintenant à savoir si ces troubles psychologiques se résorberont avec la fin du confinement ou s’ils sont là pour de bon. Mme Droit-Volet entend mener de nouvelles enquêtes dans trois et six mois pour le vérifier.
« Quoi qu’il en soit, il faut veiller parce qu’il y a beaucoup de personnes qui vont avoir des difficultés, a-t-elle prévenu. Et en plus, on voit bien qu’il y a des personnes qui sont plus fragiles que d’autres pour faire face à ces situations, les personnes qui souffrent d’isolement, les personnes qui étaient déjà dépressives, les personnes qui souffraient d’impulsivité… »
Tout est lié
Mme Droit-Volet et ses collègues ont été étonnés de constater que l’espace de vie dont disposaient leurs participants n’influençait pas vraiment la manière dont ils vivaient le confinement.
« Ce n’est pas l’espace qui est important, c’est ce qu’on va faire à l’intérieur de cet espace-là, a-t-elle dit. Plus il y a de personnes, plus il y a d’activité, en quelque sorte, moins il y a de sentiment d’isolement et mieux on va vivre le confinement. C’est complètement contraire à tous les clichés qu’on avait en disant que c’est très difficile de vivre le confinement quand on est nombreux et dans un petit espace de vie. Il y a des gens dans une belle maison avec un beau jardin qui se sont ennuyés pendant le confinement. »
Ultimement, poursuit-elle, tout est lié: l’ennui, la tristesse, le manque d’activité, les troubles du sommeil et le sentiment que le temps s’éternise. Il faut alors comprendre qu’on réfère souvent au passage du temps pour décrire des émotions sous-jacentes.
« C’est pour ça que finalement quand on dit le sentiment du passage du temps, ce n’est pas du temps, a lancé Mme Droit-Volet en conclusion. On utilise ce vocable parce que c’est un vocable qui est extrêmement familier. On perçoit, on conçoit toute notre vie à travers le temps. Mais ce n’est pas parce qu’on utilise ce vocable qui nous est familier du passage du temps qu’il s’agit du passage du temps. En réalité, ce vocable reflète autre chose, notre état émotionnel, notre ennui, nos difficultés, mais ce n’est pas du temps. »
SOURCE : Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne