Février, mois du patrimoine franco-ontarien, est souvent l’occasion de mettre en valeur des monuments ou d’alerter le public sur la préservation d’un site menacé de destruction. Mais la richesse patrimoniale se mesure aussi à une histoire et une langue communes. En situation minoritaire, ce patrimoine immatériel prend une importance considérable car de sa transmission dépend l’existence même d’une culture.

Les bénévoles du Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO) du Niagara s’attachent à préserver cette histoire en aidant les francophones de la région dans leurs recherches généalogiques, grâce à un fonds d’archives patiemment enrichi au fil des ans.

Un des coins de la bibliothèque publique de Welland est réservé aux membres qui, épaulés chaque jeudi par une volontaire, ont accès à un millier d’ouvrages stockés sur les étagères. Actes de naissance, de mariage et de décès, livres d’histoire et autres registres émanant des quatre paroisses francophones de la Péninsule constituent une base de données fort utile pour découvrir les racines familiales.

« Les francophones se sont installés ici dans les années 1920 pour travailler dans les manufactures  de coton et sur le chantier du canal, raconte Madeleine Boilard, présidente du RPFO du Niagara. Welland était une ville industrielle. Ces travailleurs de la terre se sont tournés vers les usines car les terres ici étaient moins fertiles qu’au Québec et dans le Nord de l’Ontario d’où ils venaient. La présence d’une paroisse les a aussi a fortement encouragés à s’installer ici. »

Les recherches entreprises par les descendants les mènent dans de nombreuses zones géographiques à travers le Canada mais aussi dans l’Est des États-Unis où beaucoup d’Acadiens furent déportés au XVIIIe siècle, chassés par les Britanniques prenant possession des colonies françaises. À ce voyage dans l’espace se joint un autre voyage encore plus exaltant : dans l’histoire.

« Tout dépend des noms, des endroits et des périodes, mais il y a toujours un moment où ça coince. Par exemple, lorsque l’on a un ancêtre amérindien, il est quasiment impossible de progresser plus loin car la transmission du savoir familial était orale et non écrite, comme dans la religion catholique », explique Renée Tétreault, une autre bénévole. Les mariages entre Autochtones et Européens permettaient de sceller des alliances et contribuaient à la paix.

Malgré les embûches, les surprises et parfois les impasses, les membres parviennent souvent à remonter jusqu’à la période coloniale et au-delà. Les pionniers français venaient pour la plupart du Poitou, de Normandie et de Bretagne. Nombre de membres trouvent une filiation avec les Filles du roi. C’est le cas de Margaret Tilbert. « Ces femmes issues des orphelinats et des hospices étaient envoyées en Nouvelle-France pour fonder une famille et coloniser un territoire peuplé d’hommes, relate-t-elle. Il fallait faire beaucoup d’enfants car il y avait beaucoup de décès dans les deux premières années de vie. C’est pourquoi les familles canadiennes-françaises étaient grandes en général. »

La généalogie est quelque chose de personnel. Chacun a une raison qui lui est propre. Certains viennent attirés par leur histoire, d’autres pour se découvrir un ancêtre autochtone. Les uns ne s’intéressent qu’à leur lignée directe, les autres à leur famille. Cette quête d’identité des francophones de la Péninsule nourrit aussi l’importance de la langue qui apparaît, aux yeux de Madeleine Boilard, le patrimoine franco-ontarien le plus précieux. « Elle est vitale pour exister, dit-elle. Partout où elle subsiste ou se développe, elle contribue à perpétuer un patrimoine. Les écoles de langue française l’ont considérablement confortée mais l’assimilation va de pair avec la langue du travail. Elle a donc tendance à se perdre à l’âge adulte. »

Alors que la généalogie n’a jamais été aussi populaire, connaître ses racines et se reconnecter avec son histoire revêt un sens encore plus fort en milieu minoritaire. Paradoxalement, cette quête identitaire intéresse peu les jeunes et les bénévoles peinent à trouver une relève. « Les jeunes sont accaparés par les activités sportives et les jeux. Après leurs études secondaires, ils partent et ne reviennent pas. Welland est devenue une ville de retraités, regrette le petit groupe dont le dévouement reste intact.

Une histoire de passion avec un grand H et un grand P dont les nouveaux chapitres s’écrivent chaque jeudi  à la bibliothèque de Welland.

 

Photo : de gauche à droite : Madeleine Boilard, Renée Tétreault, Carmen Cayer et Margaret Tilbert.