Aux grands maux, les grands remèdes. Les experts nous préviennent : le coronavirus ne disparaîtra pas de sitôt et aucun vaccin ne sera disponible avant au moins un an.
Aussi, plusieurs régions qui avaient entamé un déconfinement, même timide, ont dû faire marche arrière quand le nombre d’infections est reparti en flèche.
Dans ce contexte, des milliers de personnes se disent prêtes à risquer leur vie pour faire avancer la recherche et accélérer une sortie de crise.
Quelque 20 000 volontaires provenant de 102 pays ont ainsi jusqu’à présent signé une pétition en ligne pour réclamer d’être volontairement infectés par le SRAS-CoV-2, afin de permettre aux médecins d’étudier ce qui se produit ensuite et de développer de nouvelles stratégies pour contrer ce virus qui fait trembler la planète.
De tels essais de types « challenge », lors desquels des volontaires sont exposés à une maladie, ne sont pas nouveaux en médecine. Cela étant dit, ils sont normalement organisés après le développement d’une thérapie ou d’un vaccin, pour en tester l’efficacité.
Leur tenue éventuelle avant qu’un traitement efficace soit disponible soulève des questions d’éthique épineuses.
Vie en péril
« Un challenge trial, c’est ce qui va donner, d’un point de vue scientifique, la réponse la plus rapide à toute sorte de questions, que ce soit l’efficacité d’un vaccin, ou le risque de réinfection, ou encore ce que la réponse (…) immunitaire veut dire en termes de protection, a dit la docteure Caroline Quach-Thanh, du CHU Sainte-Justine. Ça, c’est clair. »
Mais une société peut-elle tolérer que certains de ses membres mettent ainsi leur sécurité, et potentiellement, leur vie en péril?
L’Organisation mondiale de la Santé est d’avis que oui. L’agence onusienne a récemment publié un document de vingt pages qui précise au moins huit critères pour encadrer de tels essais, comme une évaluation des risques et des bienfaits potentiels, ou encore la manière dont les participants seraient choisis.
« On accepte des courses d’auto ou de ski alpin ou d’autres choses du genre, a commenté la professeure Bartha Knoppers, qui dirige le Centre de génomique et politiques de la faculté de médecine de l’Université McGill. On accepte que les individus puissent avoir des vies avec toute sorte de risques. C’est un choix personnel avec lequel on peut être d’accord ou pas. On ne peut pas nier à des personnes adultes, compétentes, ayant les capacités mentales et tout, en santé… si elles veulent s’offrir (…) pour participer à un essai contre un vaccin, de contribuer. Il y a des gens comme ça. »
La professeure Emmanuelle Marceau, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, croit que la question du sacrifice qu’une société peut se permettre ou non d’accepter est vraiment au coeur du débat. En temps normal, dit-elle, la réponse serait plutôt « non » que « oui » quand on envisagerait de sacrifier quelques vies au nom d’un plus grand nombre.
La pandémie change toutefois la donne, selon elle.
« Le contexte criant de pandémie, le contexte de santé publique nous amène à dire que cette posture-là plus individualiste de l’éthique de la recherche doit peut-être être soupesée avec des considérations de santé publique, a-t-elle dit. C’est ce qui fait qu’on serait peut-être prêts à exposer certains individus à des risques qu’on ne ferait pas en temps normal au nom de la santé publique et du bien-être de la collectivité. »
Multiples voix
Les deux expertes québécoises ne sont pas les seules à croire que ces essais de type « challenge » méritent d’être explorés.
Une sommité américaine en la matière, le professeur Arthur Caplan, écrivait dernièrement sur le site Science Direct que « malgré le danger, nous croyons qu’il serait éthique de rechercher maintenant des volontaires qui seraient informés des risques connus et inconnus ».
M. Caplan en a rajouté dans les pages du Boston Globe : « Le nombre de gens qui succomberont au nouveau coronavirus pendant qu’on cherche un vaccin est exponentiel. Si le virus se retire, puis revient, il faudra encore plus de temps avant de le comprendre. Les enjeux sont si élevés que risquer (la vie) de volontaires s’appuie sur une base morale solide ».
Deux autres experts, Peter Singer et Richard Yetter Chappell, expliquent dans le Washington Post que « si on peut obtenir des preuves solides qu’une faible dose du vaccin mène à des cas bénins de la COVID-19, et que de tels cas bénins engendrent une immunité face au virus, nous aurions trouvé le moyen de sauver des centaines de milliers de vies ».
Ils ajoutent ensuite qu’il y a « encore trop de choses qu’on ne sait pas au sujet de la COVID-19. Plus nous mettrons de temps à les apprendre, plus nous perdrons de vies ».
Ils recommandent d’accepter « avec gratitude » l’aide de ceux qui seraient prêts à participer à de tels essais.
Prudence et vigilance
La professeure Marceau martèle l’importance d’organiser éventuellement de tels essais avec prudence et vigilance.
« Je pense qu’il faut voir quelles sont les motivations de chaque personne pour prendre part à un tel essai clinique, a-t-elle dit. Si pour certains c’est de protéger ou d’enrayer la pandémie, je suis d’accord. Mais si pour d’autres c’est l’espoir d’être immunisé ou d’avoir accès aux premiers traitements avant tout le monde, c’est ce qu’on appelle une méprise thérapeutique et le consentement est vicié parce que les gens ne sont pas très conscients qu’ils n’auront pas nécessairement de bénéfice. Peut-être que oui, peut-être que non. »
Selon le professeur Caplan, on devrait tout d’abord administrer le virus à des sujets qui présentent des preuves sérologiques d’une infection antérieure, ce qui permettrait d’en apprendre un peu plus au sujet de la réponse immunitaire. Des participants vaccinés ou séronégatifs pourraient ensuite être recrutés.
Des entreprises européennes travaillent sérieusement à l’organisation d’essais de type « challenge », mais cela prendra du temps. Les chercheurs devront par exemple tout d’abord déterminer quelle dose du vaccin sera administrée.
« C’est rare qu’un utilise des live viruses, a dit Mme Knoppers. C’est quelque chose, là. Ce n’est pas interdit et pas nécessairement exclu. »
Quoi qu’il en soit, poursuit-elle, le fait que la société soit essentiellement paralysée par le virus ne signifie pas que tout est soudainement permis.
« Il y a tellement d’attentes! Mais ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas respecter ou outrepasser les règles d’éthique, a conclu Mme Knoppers. Il faut que ce soit fait avec beaucoup de prudence. Si des gens sont volontaires, et Dieu merci ça existe, il faut vraiment bien encadrer, bien suivre et bien informer. »
SOURCE : Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne