Dans le décor bucolique d’Eden Mills, un petit village de 350 âmes situé entre Guelph et Milton, la population s’est brusquement décuplée le dimanche 10 septembre.

Dans la rue principale rebaptisée « avenue des éditeurs », une foule inhabituelle presse le pas en direction de la salle communautaire. Sur une estrade de fortune, introduit par une petite fanfare, un crieur public en costume d’époque annonce la bonne nouvelle : le deuxième jour du Festival des écrivains peut commencer!

Après le mot du maire de Guelph, le public abandonne la terrasse de café et les étals de livres alentour, se dispersant en divers endroits du village qui accueille une quarantaine des meilleurs auteurs canadiens. La veille déjà, un atelier d’écriture a rassemblé de nombreux adeptes de fiction qui ont exploré avec une professionnelle les techniques de la narration et laisser libre cours à leur créativité. Aujourd’hui, place aux lectures publiques.

Dans le jardin d’une bâtisse en pierre, bordant la rivière  Eramosa, la voix fluette de Catherine Leroux interrompt un concert de grillons. « Ce sont les morts frais qui le dérangent, lit-elle. Ceux qui ne sont plus que des squelettes ne lui font ni chaud ni froid.» Germain, l’infirmier, est un des personnages de son deuxième roman. Paru en 2013, Le mur mitoyen a remporté le prix France-Québec l’année suivante. « Ce sont quatre histoires au départ complètement déconnectées les unes des autres – qui n’ont en commun que le thème de la filiation –  et qui vont s’imbriquer au fur et à mesure que l’on progresse dans l’œuvre », raconte-t-elle, cédant, au terme de sa lecture, la place à Daniel Grenier.

Avec L’année la plus longue, cet auteur de nouvelles québécois, a réalisé un rêve : publier son premier roman. « Jusqu’ici, je n’étais pas prêt : mes romans étaient toujours refusés. Je ne maîtrisais pas assez cette mécanique, si différente de la nouvelle. J’ai enfin réussi à créer un univers cohérent avec du rythme de bout en bout », apprécie-t-il.

Né un 29 février 1760, l’étrange héros de son livre vieillit au ralenti, traversant les siècles. Captivé, l’auditoire accompagne ce Thomas Langlois dans ses péripéties. « Au départ mortel comme tout le monde, j’ai eu envie de le faire vivre plus longtemps, de relier l’imaginaire aux montagnes des Appalaches et à l’Histoire. Mais cela reste un roman, je ne suis pas un historien, prévient M.Grenier qui se plaît à tordre et mixer des faits qui n’ont pas forcément un rapport les uns avec les autres.

Bien installés dans leur chaise pliante, les spectateurs quittent l’Amérique pour l’Afrique du Nord lorsque Monia Mazigh prend à son tour le micro. Dans Du pain et du jasmin, elle emmène son auditoire en Tunisie, une nation secouée par les Émeutes du pain en 1984 et la Révolte du jasmin en 2010. Trente ans séparent ces deux événements que l’auteure enjambe à travers deux générations : le regard d’une mère immigrée au Canada et de sa fille. Mme Mazigh prolonge ainsi dans la littérature son combat pour les droits de l’Homme qu’elle défend au sein de la coalition internationale des libertés civiles.

Faisant voyager le public des Apalaches au Maghreb en passant par Montréal, ces trois auteurs aux parcours, aux styles et aux univers différents se sont ensuite retrouvés pour échanger avec leurs lecteurs et dédicacer leurs ouvrages, concluant un nouveau chapitre réussi du festival des écrivains d’Eden Mills.

Photo : Le crieur public annonce le coup d’envoi des lectures publiques