Ceux qui conduisent l’ont remarqué : depuis quelques semaines, le prix de l’essence est étonnamment élevé. Dans le Centre-Sud-Ouest ontarien, il voisine 1,35 $ le litre. Le phénomène s’observe partout au pays : dans certaines villes, le prix de l’essence a même franchi le seuil du 1,50 $ le litre. Qu’est-ce qui se trame pour expliquer cette hausse soudaine et que réserve l’avenir?

Dans ce domaine comme dans bien d’autres, les variations de prix sont causées par des fluctuations de l’offre et de la demande, une interprétation de la réalité qu’il est facile de conceptualiser. Dans le cas de l’essence, les hausses de prix sont souvent générées par une perturbation des capacités de production (par des catastrophes naturelles, par exemple) ou par une demande en forte croissance (comme ce fut le cas en Chine au cours des dernières années). S’il en coûte davantage aux automobilistes, c’est que l’industrie cherche à compenser des pertes ou à tempérer une hausse de la consommation qu’elle peine à satisfaire.

Or, l’industrie pétrolière est aussi sensible aux conjonctures politiques et les prochains mois pourraient être funestes à cet égard. En effet, au Moyen-Orient, où se trouvent plusieurs des plus importants pays producteurs, il semble qu’une guerre d’ampleur régionale, tant de fois théorisée, s’approche chaque jour davantage de son déclenchement.

Certes, rien n’est déterminé à l’avance et les situations les plus intenables peuvent parfois connaître des dénouements heureux (le dossier nord-coréen en est un exemple). Mais, sans même entrer dans les dédales inextricables de la guerre qui fait rage en Syrie et sans juger du bien-fondé des motivations de chacun des pays du Moyen-Orient, l’industrie pétrolière doit néanmoins tenir compte des risques encourus par ses installations fixes et par les pétroliers qui voyagent d’un port à un autre. Et à l’heure actuelle, le portrait qui s’offre aux producteurs d’hydrocarbures est le suivant : celui de trois conflits majeurs qui pourraient éclater d’un instant à l’autre et dont l’épicentre serait l’Iran. Une augmentation du prix de l’essence constitue dans ce cas une « prime » au risque politique par anticipation.

D’abord, même si les divers groupes d’insurgés sont au seuil de leur défaite en Syrie, la guerre qui s’y déroule pourrait bientôt prendre un autre tour avec une confrontation entre Israël et l’Iran. Téhéran est un allié traditionnel de Damas et, dans le sillage de la guerre, a pu s’installer militairement en Syrie, ce que ne tolère pas le gouvernement israélien qui y voit une menace. Tant les Iraniens que les Israéliens ne font pas mystère de leur antagonisme et parlent ouvertement d’une confrontation éventuelle.

L’Iran est dans le collimateur d’une autre puissance régionale : l’Arabie saoudite. Les deux pays s’affrontent au Yémen depuis deux ans. Malgré la désolation qui les entoure, les combattants yéménites soutenus par les Iraniens ont toujours la capacité de procéder à des tirs de missiles visant des cibles en territoire saoudien. Ces missiles ont, semble-t-il, tous été interceptés jusqu’à présent. Mais qu’en sera-t-il si l’un d’eux parvient à frapper l’Arabie saoudite? Le régime saoudien, qui tient l’Iran responsable de ces tirs, répliquera-t-il en s’attaquant directement à son grand rival?

Les États-Unis complètent la galerie des adversaires principaux de l’État shiite. Depuis la révolution iranienne de 1979, les deux pays sont à couteaux tirés et les menaces de guerre n’ont jamais cessé de planer. Aux États-Unis, la nomination, en avril, de Mike Pompeo au poste de secrétaire d’État et surtout celle de John Bolton au poste de conseiller à la sécurité nationale, deux partisans de l’interventionnisme militaire à tout crin, a fait augmenter la tension d’un cran.

À ces trois scénarios de guerre s’en ajoute un autre d’ordre économique. En effet, il est très probable que les États-Unis se retireront, à la mi-mai, de l’Accord sur le nucléaire iranien et mettront en place des sanctions à l’encontre de ce pays. L’Iran est un important exportateur de pétrole et, bien qu’il puisse compter sur des marchés sûrs, plusieurs pays se plieront sans doute à la volonté de Washington. L’accès au pétrole iranien sera de ce fait plus limité, diminuant du même coup la quantité de pétrole sur le marché mondial.

La liste des facteurs qui contribuent présentement à faire augmenter le prix à la pompe semble sans fin et s’aggravera sans doute au cours des prochains mois : tensions avec la Russie, effondrement sociopolitique du Venezuela, implications complexes d’une éventuelle guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, faibles investissements dans les infrastructures pétrolières, volonté de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole de faire augmenter le prix du baril, etc. Les consommateurs sont décidément loin d’être au bout de leurs peines.

PHOTO : Le prix à la pompe tourne autour de 1,35 $ dans la plupart des villes du sud de l’Ontario.