Le 8 août 2016, elle quittait un pays guerre, ses parents, ses frères, ses sœurs, son travail et tout ce qui faisait d’elle ce qu’elle était depuis 33 ans, afin de démarrer une nouvelle vie en Ontario avec son mari Antoun et enfants, Soleil et Ghasson.
Dix-huit mois après son arrivée à Welland, Rana Bshara est non seulement en train de réussir le pari de son intégration mais a aussi été nommée, à sa grande surprise, Femme internationale de l’année.
« Je ne m’attendais pas à recevoir une telle distinction, dit-elle. Ce que je réalise ici, c’est ni plus ni moins ce que je faisais à Damas : travailler, éduquer mes enfants, aider les autres… C’est en remplissant un formulaire que j’ai réalisé au fur et mesure ce que j’avais accompli et pourquoi c’était important aux yeux de la communauté. »
Ce prix décerné chaque année à l’occasion de la Journée internationale de la femme par le Welland Heritage Council and Multicultural Centre récompense les efforts d’intégration et l’engagement communautaire d’une immigrante nouvellement arrivée.
En dépit des barrières linguistique et culturelle, cette réfugiée syrienne a surpassé les moments de doute, soutenue dans ses démarches par la paroisse St-Kevin et plusieurs organismes francophones.
« Lorsque je suis arrivée, je parlais l’arabe et le français, indique-t-elle. Alors j’ai suivi des cours au Niagara College pour mettre mon anglais à niveau dans une province à majorité anglophone. Puis j’ai découvert l’existence d’une communauté francophone. Je me suis portée volontaire pour effectuer des tâches administratives au Centre communautaire de santé Hamilton-Niagara où j’ai pu continuer à pratiquer mon français. »
Accompagnée dans sa reconversion professionnelle par le centre d’emploi et de ressources francophones CERF Niagara, elle a obtenu son premier emploi au sein de la garderie La Boîte à Soleil. L’agente de voyage dans une grande compagnie française en Syrie est ainsi devenue aide-éducatrice au Canada. Après huit mois de travail, la direction a renouvelé son contrat de façon permanente.
Rana est heureuse. Ses enfants, âgés de 9 et 7 ans, se sont aussi très bien intégrés. Le choc linguistique est derrière eux. Bilingues et bientôt trilingues, ils corrigent déjà l’anglais de leurs parents. Pourtant les défis sont encore nombreux, dans les petits gestes quotidiens comme la conduite en voiture ou plus profonds comme surmonter un déracinement culturel assez brutal.
« On doit toujours garder espoir pour avancer, travailler sur soi-même et se dépasser »
Selon elle, le fait que la société canadienne se montre compréhensive, inclusive et reconnaissante apporte beaucoup de réconfort et d’encouragement dans un processus qui prend du temps, de l’énergie et peut parfois conduire à la dépression. « Il n’y a pas beaucoup de pays qui reconnaissent et mettent en relief l’importance du rôle des femmes nouvellement arrivées. Elles sont nombreuses à faire face aux mêmes défis que moi, à déployer des efforts considérables pour s’intégrer, élever leurs enfants et leur donner un avenir meilleur. Ces gestes banals aux yeux de n’importe quel citoyen constituent de réels défis quand on recommence tout à zéro. »
Malgré les embuches, le discours de Mme Bshara est viscéralement positif, porté par une soif de comprendre le monde qui l’entoure et apprendre sans cesse pour améliorer sa situation. Elle espère d’ailleurs reprendre des études plus tard. « Il y a eu des moments d’épuisement. On est tous des êtres humains. Mais on doit toujours garder espoir pour avancer, travailler sur soi-même, se dépasser, devenir autonome, affirme-elle, mettant en avant la solidarité de la communauté. Dans cette petite ville, nous sommes entourés de gens qui nous ont aidés. Il y a toujours eu quelqu’un pour trouver une solution, du travail ou des activités pour les enfants. Cela a favorisé notre intégration. »
Ce courage masque avec dignité une blessure encore vivace d’avoir laissé une part d’elle-même en Syrie. Rana Bshara fait partie des quelque 40 000 réfugiés accueillis par le Canada depuis novembre 2015, fuyant une guerre civile qui a fait près de 500 000 morts depuis mars 2011. La moitié de la population a été déplacée, et cinq à six millions de Syriens ont fui le pays, comme elle.
« La Syrie sera toujours dans mon cœur, confie-t-elle. C’est mon héritage culturel. J’ai grandi là-bas. Cela représente mon enfance, ma vie, mes parents aussi, toujours exposés au danger. Ce que je lis dans les journaux m’attriste et je prie pour le retour à la paix. Ce qui me persuade qu’on a pris la bonne décision, c’est qu’au Canada on respecte les droits des enfants. Ils sont en sécurité et ont un avenir ici. Cela me pousse à donner plus. Je serai fière de devenir Canadienne et d’aider, à mon tour, d’autres femmes à accomplir leur intégration. »
Photo © Anthony Gallaccio : Rama Bshara (à droite) reçoit le trophée de Femme internationale de l’année, des mains de de Janet Madume, directrice du Welland Heritage Council and Multicultural Centre.