Chaque année, la communauté rwandaise de Hamilton se rassemble pour commémorer le génocide contre les Tutsis de 1994. Lors de la 31e édition, des survivants, dont Clarisse Mukashumbusho, ont livré des témoignages poignants, soulignant l’importance de la mémoire et de l’éducation intergénérationnelle.

Christiane Beaupré, IJL Réseau.Presse – Le Régional de Hamilton-Niagara

Depuis plusieurs années, la communauté rwandaise de Hamilton organise une commémoration du génocide perpétré contre les Tutsis, événement tragique qui a coûté la vie à plus de 800 000 personnes en 1994. La 31e commémoration s’est tenue dans la salle du conseil municipal le samedi 3 mai, en présence de nombreuses familles rwandaises de la région.

« Il s’agit d’une occasion importante pour nous d’honorer la mémoire des victimes de ce génocide et de montrer notre solidarité envers les survivants, explique la présidente de la communauté rwando-canadienne de Hamilton, Kosita Musabye. Cette rencontre annuelle revêt également un rôle éducatif et une occasion de sensibiliser les communautés à cohabiter pacifiquement. »

La cérémonie a débuté par une réflexion sur kwibuka, terme qui signifie « se souvenir » en kinyarwanda. Il désigne la période annuelle de deuil qui coïncide avec le génocide, qui a commencé le 7 avril et s’est terminé le 4 juillet, jour de la libération. Puis des mots d’espoir et une prière ont suivi avec le pasteur Gene Clarke de l’Église chrétienne Bethel de London.

Le moment phare de la rencontre s’est produit lorsque Clarisse Mukashumbusho a raconté comment elle avait survécu au génocide après avoir été laissée pour morte il y a 31 ans.

Cette courageuse enseignante rwandaise de London, mère de deux enfants, a raconté que ses souvenirs les plus précieux remontaient à ses 10 ans en 1994 à Kigali. Elle se rappelait les moments passés avec ses parents, ses cinq frères et sœurs et sa grande famille élargie, vivant tous à quelques maisons les uns des autres dans la banlieue de Ndera.

Cependant, le 17 avril 1994 a marqué la fin de ce bonheur. La plupart des membres de sa famille, tous Tutsis, ont été tués par des miliciens Hutus devant l’hôpital psychiatrique de Ndera, où ils s’étaient réfugiés depuis 10 jours.

Mme Mukashumbusho a miraculeusement échappé à la mort en se dissimulant sous un amas de corps, dont ceux de sa famille. Seule sa sœur aînée a également survécu.

« Mes parents ont fait de leur mieux pour nous protéger de l’escalade de la violence. Mais c’est lorsque mon école a commencé à séparer les enfants tutsis des hutus que j’ai compris que quelque chose n’allait pas », se souvient-elle.

Elle a évoqué les événements du 6 avril, lorsque les premières attaques ont eu lieu dans son quartier, suivies de tirs qui ont duré toute la nuit. Sa mère, assistante sociale à l’hôpital de Ndera, avait cru y trouver un refuge sécuritaire pour sa famille et des centaines d’autres familles tutsies.

« Malheureusement, ce n’était pas un endroit sûr, poursuit-elle. Ils nous attaquaient tous les jours, coupaient l’approvisionnement en eau, et les gens ne pouvaient plus sortir pour se nourrir. Ils ne sont jamais entrés dans l’hôpital, mais lançaient des grenades à l’intérieur, et les morts s’accumulaient. »

Dix jours plus tard, tous les réfugiés ont été expulsés et exécutés collectivement. Clarisse, cachée sous les corps, a échappé aux balles, mais a été frappée à la tête par des miliciens hutus revenus pour terminer le massacre.

« Cette nuit-là, j’ai perdu ma mère, mon père et mes quatre frères et sœurs. Avant qu’ils ne nous tirent dessus, tout le monde nous a dit au revoir. J’ai cru que j’allais mourir moi aussi, mais je suppose que ce n’était pas mon jour », dit-elle, simplement, dans un silence total.

Couverte de sang, elle est restée allongée deux jours parmi les corps, feignant d’être morte par crainte du retour des miliciens. Elle a appris plus tard que sa sœur avait survécu.

Ce témoignage n’en est qu’un parmi tant d’autres, mais son impact a profondément touché la jeune génération rwandaise, dont la présence à cette commémoration est un signe d’espoir pour l’avenir. Plusieurs jeunes ont d’ailleurs pris la parole, dénonçant le déni, « dernier stade du génocide et extension du crime en soi ». Ils entendent miser sur l’éducation pour transmettre la mémoire et prévenir de futurs génocides.

Photo (Crédit : journal Le Régional) : Les Rwandais de Hamilton ont gardé une minute de silence pour les victimes du génocide.