Sur la rue Front, à Niagara-on-the-Lake, se trouve une maison antique comme il s’en trouve tant dans cette ville on ne peut plus historique. Or, une plaque démarque cette résidence des autres demeures. Les passants qui y jettent un coup d’oeil apprennent que c’est dans cette modeste maison que vécu, de 1857 à 1906, William Kirby, historien, poète, écrivain et éditeur.

Le nom est oublié depuis longtemps mais pas son célèbre roman Le Chien d’or et pour cause : l’histoire, bien que largement fictive, se base sur des faits qui se sont passés dans la ville de Québec au temps de la Nouvelle-France et dont un mystérieux artéfact, qui a intrigué des générations de visiteurs, subsiste toujours. Ceux qui ont arpenté le Vieux-Québec ont peut-être remarqué, au fronton de l’ancien Hôtel des Postes à deux pas du Château Frontenac, un curieux bas-relief représentant un chien, plaqué or, rongeant un os et accompagné d’un énigmatique quatrain : « Je suis un chien qui ronge l’os / En le rongeant je prends mon repos / Un temps viendra qui n’est pas venu / Que je mordrai qui m’aura mordu ».

Ce bas-relief est bien antérieur à l’édifice qu’il orne aujourd’hui puisqu’il date de 1688. Il a cependant toujours été offert à la vue des passants, les propriétaires des immeubles qui se sont succédé sur ce coin de rue prenant toujours soin de le préserver même si l’origine de cette oeuvre a de tout temps été entourée de mystère. Cependant, à la fin des années 1990, la sociologue Germaine Normand a peut-être exhumé le secret du Chien d’or en faisant des recherches sur son ancêtre Jean Normand.

Celui-ci a, dans les années 1680, maille à partir avec un de ses voisins, Timothée Roussel, pour une question de droit de passage sur un terrain. Leur querelle dégénère en d’interminables chicaneries judiciaires et les deux hommes en viennent même aux coups. Finalement, les tribunaux donnent raison à Roussel, une victoire qui ne lui rendra pas son chien, tué par un des fils de Normand…

C’est ce même Roussel qui fit apposer le bas-relief du Chien d’or sur sa maison. Cependant, ce n’est pas une anecdote aussi triviale qui a inspiré William Kirby mais une autre histoire qui s’est passée 60 ans plus tard dans la maison de Timothée Roussel. Les descendants de ce dernier avaient depuis vendu la demeure au marchand Nicolas Jacquin dit Philibert. En 1748, un officier de la marine, Pierre Legardeur de Repentigny, se présente chez Philibert pour y être hébergé, la loi exigeant des citoyens qu’ils acceptent sous leur toit les soldats en l’absence de caserne. En dépit de cela, Philibert refuse d’accueillir Repentigny et une dispute éclate. Lorsque le marchand menace l’officier d’un bâton, celui-ci riposte avec son épée. Blessé, Philibert rend l’âme le lendemain en pardonnant à son agresseur qui, après avoir fui, est finalement arrêté et condamné. Il sera, au bout du compte, gracié par Louis XV.

William Kirby s’est en partie appuyé sur ce fait divers pour construire son roman mais en y faisant intervenir bien d’autres personnages historiques. Le récit, truffé d’anachronismes, brille surtout par le panorama qu’il prétend offrir de la vie en Nouvelle-France et, pour faire bonne mesure, Kirby fit d’une histoire d’amour tortueuse le pivot de son roman. Malgré tout, The Golden Dog, dans sa version originale, connu tout de suite le succès lorsqu’il fut publié pour la première fois à Montréal et New York en 1877. Le public anglophone, friand de ces intrigues ayant pour toile de fond l’empire français en Amérique, assura à l’ouvrage de multiples rééditions et l’oeuvre est aujourd’hui considérée comme un classique de la littérature canadienne. Le roman fut traduit en français par le poète Pamphile Lemay au milieu des années 1880.

Il y a de cela plus de trois siècles, personne ne se serait douté que le bas-relief du Chien d’or connaîtrait une aussi étrange postérité, sauf peut-être Timothée Roussel qui, manifestement, en avait gros sur le coeur. Le journaliste, écrivain et archiviste Benjamin Sulte, qui était aussi un ami de William Kirby, est celui qui a sans doute le mieux résumé l’héritage de ce curieux personnage : « S’il a voulu faire jaser les Canadiens, il triomphe sur toute la ligne! »

PHOTO: La résidence de Niagara-on-the-Lake où William Kirby a rédigé Le Chien d’or