Pour la première fois depuis des décennies, l’une des alliances les plus solides et les plus amicales du monde fait face à de sérieuses tensions alors que les Canadiens – considérés comme les gens les plus gentils et les plus polis de la planète – essuient les attaques et les insultes de Donald Trump à l’endroit de leur premier ministre et de leurs politiques commerciales.
Certains Canadiens exhortent le premier ministre Justin Trudeau à rechercher la paix avec le président des États-Unis. Plusieurs autres veulent qu’il réponde à M. Trump sur le même ton, même si ce dernier cherche à engranger du capital politique avec sa rhétorique anti-Canada.
Toutefois, le quotidien Globe and Mail est d’accord pour dire que « les relations entre deux des plus proches alliés du monde se situent maintenant à un niveau périlleusement bas ».
Voici ce qui a mis le feu aux poudres : M. Trump a non seulement suggéré que de nouveaux tarifs contre le Canada sont justifiés par des raisons de sécurité nationale, mais ses collaborateurs et lui ont traité M. Trudeau de « faible » et de « malhonnête » qui mérite une place en enfer pour les avoir poignardés dans le dos.
Pour les Canadiens – qui ne rejettent pas totalement leur image stéréotypée de gens discrets et agréables – l’éruption semblait complètement en contradiction avec leur propre tempérament national.
Anne Marie Goetz, une Canadienne qui enseigne les affaires internationales à l’Université de New York, a dit qu’elle espérait que ses compatriotes montreront « de la maturité et de l’indulgence » au milieu des tensions.
« Mais au fur et à mesure que ces déclarations absurdes et ces grossièretés s’empilent, l’antagonisme et le ressentiment pourraient aussi être terribles et même surréalistes pour deux des meilleurs voisins de la planète », a prévenu Mme Goetz.
Le ressentiment est déjà palpable. Mike Morrison, un célèbre blogueur de voyage et de culture basé en Alberta, a annoncé que son épouse et lui avaient annulé un voyage aux États-Unis le mois prochain. À Halton Hills, une banlieue de Toronto, le conseil municipal a adopté à l’unanimité, le lundi 11 juin, une motion encourageant ses résidents et ses entreprises, avec une politesse typiquement canadienne, à éviter les produits américains « là où les substituts canadiens sont raisonnablement disponibles ».
« M. Trump est comme un invité déplaisant, il est arrivé tard, il est parti tôt et il a insulté l’hôte, a déclaré le maire Rick Bonnette. Quand vous avez un tyran comme M. Trump, vous ne pouvez pas continuer à encaisser et à encaisser. »
Les liens entre les deux pays sont sans comparaison ailleurs dans le monde. Le commerce entre les États-Unis et le Canada a totalisé environ 673,9 milliards $ US en 2017, avec un excédent de 8,4 milliards $ US en faveur des États-Unis. Chaque jour, environ 400 000 personnes traversent la plus longue frontière internationale du monde. Il existe une coopération étroite en matière de défense, de sécurité des frontières et d’application de la loi, et un vaste chevauchement dans la culture, les traditions et les passe-temps.
Comme dans la plupart des relations intimes, il y a eu des moments difficiles.
Des guerres commerciales limitées sur le bois d’oeuvre, les pâtes et papiers et d’autres produits ont flambé au fil des décennies. Au début des années 1960, il y a eu un désaccord persistant à cause de l’hostilité personnelle entre le président John F. Kennedy et le premier ministre John Diefenbaker, qui a résisté aux pressions des États-Unis pour être plus agressif pendant la guerre froide.
Plus tard, la guerre du Vietnam a causé quelques frictions, alors que les Canadiens – y compris le père de Justin Trudeau, l’ancien premier ministre Pierre Elliot Trudeau – ont accueilli les Américains qui ont traversé la frontière. Et certains Canadiens, notamment l’intelligentsia de l’Ontario, ont tendance à considérer les Américains comme étant plus grossiers et plus épris de leurs armes que les gens au nord de la frontière.
« En général, les Canadiens nous considèrent comme un grand enfant, fort et indiscipliné, mais fondamentalement bon – un gros animal dont ils n’ont pas à s’inquiéter, mais qui fait parfois des bêtises », a déclaré Stephen Blank, un universitaire américain qui a enseigné des deux côtés de la frontière.
L’éruption s’est produite à la fin du dernier sommet du G7 au Québec. Alors que M. Trump se rendait rencontrer avec le chef de la Corée du Nord, M. Trudeau a déclaré aux journalistes que le Canada riposterait contre les nouveaux tarifs américains qu’il considérait comme injustes. Furieux, M. Trump a retiré les États-Unis du communiqué conjoint du G7 et qualifié M. Trudeau de « malhonnête » et de « faible ».
« Il y a une place spéciale en enfer pour tout dirigeant étranger qui s’engage dans une diplomatie de mauvaise foi avec le président Donald J. M. Trump, puis tente de le poignarder dans le dos », a ensuite déclaré Peter Navarro, le conseiller commercial du président américain.
Les Canadiens de toutes les allégeances politiques étaient indignés. M. Trudeau, qui a adopté de nombreuses politiques de centre-gauche au nom de son Parti libéral, a reçu un solide appui de ses rivaux conservateurs normalement hostiles.
Jason Kenney, le chef du Parti conservateur unifié de l’Alberta, a dit qu’il était stupéfait que M. Trump attaque le premier ministre tout en se liant d’amitié avec Kim Jong-un de la Corée du Nord.
« Il est de plus en plus bizarre de voir une administration faire l’éloge d’un dictateur totalitaire tout en utilisant un langage sans précédent pour condamner le chef de gouvernement élu du plus proche allié des États-Unis », a déclaré M. Kenney.
David Frum, un commentateur politique canado-américain, a déclaré que la querelle ne ferait que renforcer le statut de M. Trudeau parmi les Canadiens.
« Les gazouillis revanchards de M. Trump (…) à ses hôtes canadiens ne lui ont probablement pas fait perdre d’amis au Canada, pour la simple raison arithmétique qu’à part quelques Youtubeurs de la droite alternative, il n’avait plus d’amis au Canada à perdre », a écrit M. Frum dans The Atlantic.
Cependant, Lawrence Martin, un chroniqueur du Globe and Mail, a suggéré que le mépris de M. Trudeau pourrait nuire au Canada et lui a conseillé de chercher des discussions de conciliation avec M. Trump plutôt que de risquer d’autres représailles commerciales.
« Le gros chien a tous les avantages, a écrit M. Martin. Alors que seulement 16 % des exportations américaines vont au Canada, 72 % des exportations canadiennes vont vers le sud. »
Bruce Heyman, l’ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, a déclaré qu’il croyait que l’administration M. Trump était déterminée à se retirer de l’Accord de libre-échange nord-américain et avait créé « un récit anti-canadien » qui l’aiderait.
Une guerre commerciale qui s’ensuivra sera douloureuse pour le Canada, mais finalement bénéfique, a déclaré M. Heyman: « Cela obligera le Canada à se diversifier. »
Certains Américains ont rejeté le vitriol de M. Trump, en utilisant le mot-clic #ThanksCanada sur Twitter pour mettre en évidence des choses positives que le Canada a faites. Le Globe and Mail affirme avoir reçu des douzaines de lettres d’Américains, dont plusieurs étaient consternés par le comportement de leur président.
« Nous, aux États-Unis, avons grandement besoin du bon caractère de votre nation et de son sens clair de la mission pour nous rappeler ce qui fait vraiment la grandeur de l’Amérique, a ainsi écrit Tom Gerson de Old Saybrook, Connecticut. Je sais que nous, vos amis du Sud, pouvons compter sur le Canada pour cette inspiration et bien plus encore, maintenant et toujours. »
SOURCE : Rob Gillie et David Crary, The Associated Press
PHOTO: la région des Grands Lacs