(APF) Bien que le Sénat ne « joue pas parfaitement son rôle, en tant que défenseur de la langue française », le professeur de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Benoît Pelletier, estime qu’il est à l’avantage des communautés francophones en situation minoritaire de militer en faveur du statu quo au détriment de la réforme ou de l’abolition de la Chambre haute.
Celui qui fait partie des rares personnes qui défendent le mode nominatif actuel craint qu’un changement de mode signifie une moins grande représentation des communautés. « C’est le mode actuel nominatif qui permet au premier ministre de nommer des gens qui viennent de milieu minoritaire ou qui représentent des intérêts minoritaires, notamment la francophonie canadienne. Ça veut dire que si on devait transformer le Sénat en une chambre d’élus, vraisemblablement, cesgens-là ne pourraient pas être élus au Sénat ou n’auraient pas pu dans le passé être élus au Sénat », affirme-t-il.
Pour ce qui est de l’abolition du Sénat, il croit que les francophones se tireraient dans le pied en soutenant cette avenue. « Nous avons là une deuxième chambre où il y a une présence francophone qui est appréciable, soutient M. Pelletier. S’il devait avoir abolition du Sénat éventuellement, on se priverait de cette autre présence francophone dans les institutions centrales. »
Ayant déjà affiché ses couleurs, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada privilégie davantage l’option d’une réforme conditionnelle. « On n’est pas contre la réforme. Par contre, on veut assurer la représentation des communautés francophones et acadienne », précise la présidente de la FCFA, Marie-France Kenny.
Cette dernière considère que comme « il n’y a rien au Parlement qui garantit la représentation des francophones », la réforme devrait inclure un mécanisme qui protège la représentation francophone. Si l’élection des sénateurs est l’option retenue dans la réforme du Sénat, la FCFA suggère qu’un siège par province soit réservé pour un sénateur francophone. Aux yeux de Mme Kenny, « le statu quo est ni plus ni moins avantageux qu’une réforme avec un siège réservé par province ».
« C’est vraiment un pensez-y bien et je pense que les francophones au Canada ont vraiment intérêt à combattre cette idée voulant qu’éventuellement, les sénateurs soient élus directement ou indirectement, soutient M. Pelletier. C’est très populaire de parler d’élection des sénateurs, c’est quelque chose qui est très attirant. Évidemment, tout ça est drapé du principe démocratique et les gens n’ont que ça à la bouche. On parle d’élire les sénateurs, mais on perdrait l’une des vertus essentielles du Sénat actuel.
« Là où les francophones doivent se positionner et se mobiliser c’est justement en prévenant les autres Canadiens des dangers d’une élection des sénateurs. Il n’y a pas que les francophones qui peuvent être concernés par cette question du mode de sélection des sénateurs, toute personne qui vient d’un milieu minoritaire et là je peux penser à des gens qui viennent de communautés culturelles, aux Autochtones, des gens qui représentent des intérêts qui sont minoritaires comme les homosexuels ou d’autres groupes d’intérêt auraient intérêt à combattre l’idée que le Sénat devienne un Sénat élu. »
Procédures En raison de la lourdeur du processus de modification constitutionnelle, M. Pelletier croit que « les possibilités de réformer le Sénat sont très minces ». Rappelons que le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada ont soumis un renvoi respectivement auprès de la Cour d’appel du Québec et de la Cour suprême du Canada. Il faudra donc attendre l’opinion de ces deux instances avant de connaître les possibilités. « Il y a peu de réforme que le fédéral pourrait apporter unilatéralement au Sénat sans avoir l’approbation des provinces. L’abolition est encore plus dure à obtenir. Je ne crois pas du tout que je verrai de mon vivant l’abolition du Sénat. J’en serais extrêmement surpris », mentionne celui qui évalue que ce sont les gens qui prônent le changement qui auront le plus d’obstacles à surmonter.
Si ce dernier n’est pas en mesure d’identifier « une initiative du Sénat qui eut été marquante en ce qui concerne la langue française », il concède qu’il y a pu en avoir qui lui échappe. « J’ai vu les efforts très louables de la sénatrice Maria Chaput ne pas fonctionner parce que c’est un Sénat à majorité conservatrice et on lui a créé toutes sortes d’embêtements procéduraux pour gagner du temps et la décourager. Ce n’était pas un message qui était très positif pour la francophonie canadienne », commente M. Pelletier.
Quant à Mme Kenny, elle cite « la modification de la Loi sur les langues officielles pour rendre la partie 7 exécutoire » initiée par le sénateur Jean-Robert Gauthier comme une victoire sénatoriale pour la francophonie canadienne. Elle salue d’ailleurs les tentatives de Mme Chaput pour moderniser la Loi sur les langues officielles. « Les sénateurs jouent un rôle important », défend-elle.
Photo : Benoit Pelletier