La société telle que nous la connaissions avant le coronavirus risque elle aussi de succomber à la pandémie et d’être remplacée par quelque chose… de différent, croient au moins trois expertes interrogées par La Presse canadienne.

« On a une chance inouïe d’utiliser la situation actuelle pour pouvoir définir un nouveau projet de société et de vivre-ensemble, a ainsi dit la stratège en communication politique Sophie Séguin-Lamarche.

« Une société qui serait peut-être novatrice, écologique, souveraine de façon alimentaire, qui pourrait réinventer son territoire pour permettre de nouvelles façons de faire, se réapproprier les espaces communs et puis trouver une façon de vivre ensemble et de se côtoyer, en gardant toujours en tête que ce qui nous arrive actuellement pourrait nous arriver encore. »

Elle anticipe, au cours des prochains mois, une « réflexion collective (…) sur, justement, comment on se réinvente comme société ».

« Les crises sont souvent la meilleure façon de réinventer notre mode de vie », a-t-elle rappelé.

Quelle forme prendra cette nouvelle société? Impossible à prédire pour le moment, a dit Julie Ricard, qui est chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal.

« Personne n’a de boule de cristal pour savoir quels comportements vont rester et quels comportements vont se dissiper avec le temps », a-t-elle dit.

Pour le long terme
« On est là-dedans pour 18 mois, a récemment prévenu la docteure Caroline Quach-Thanh, du CHU Sainte-Justine. Je pense qu’on commence à réaliser qu’il faut se trouver une nouvelle façon de vivre. Et non, on n’ira pas en Europe cet été, on n’ira peut-être même pas au chalet dans le Bas-du-Fleuve, mais il faut commencer à trouver une façon de vivre.

« Et oui, ça va peut-être prendre plus de temps pour faire l’épicerie, et oui on va peut-être faire livrer nos affaires davantage, mais il faut retrouver un équilibre. Il faut apprendre à vivre avec cette cochonnerie-là. Je suis désolée, mais c’est de même. »

Mme Séguin-Lamarche entrevoit une réflexion en profondeur, pour des raisons évidentes, sur les soins qui sont offerts aux aînés et sur la manière dont la société s’occupe de ses membres les plus démunis.

Les gouvernements ont « charcuté » le système de santé au fil des ans, affirme-t-elle, et on se retrouve aujourd’hui face à un « échec » qui porte à réflexion.

« C’est définitivement une question qu’on devrait de poser en tant que société: comment est-ce qu’on réorganise le système de santé?, a-t-elle demandé. Comment est-ce qu’on offre nos services aux plus démunis et aux plus vulnérables? Personne n’aime voir ce qu’on voit en ce moment. »

Julie Ricard établit une comparaison entre la situation actuelle et la crise du verglas, qui avait suscité une grande vague de solidarité au Québec.

Lors de tels évènements, rappelle-t-elle, « on se sent plus proches les uns des autres ».

« Quand nous sommes en période de crise, il y a un genre de solidarité, a-t-elle dit. Je pense que les gens vont avoir un sentiment de solidarité plus fort (après la pandémie). Je pense que ça va rester, mais c’est difficile de dire pendant combien de temps. »

Réappropriation du territoire
Mme Ricard s’attend aussi à ce que le télétravail occupe une place beaucoup plus grande, maintenant que la crise a permis à certaines entreprises de se familiariser avec cette façon de faire. Ce ne serait qu’un exemple de la manière dont les Québécois commenceraient à occuper et à utiliser leur territoire différemment.

« Les parcs sont fermés, le voyage n’est plus accessible et on ne sait pas encore pendant combien de temps, mais peut-être qu’il y aura une façon de se réapproprier le territoire, de remettre les villes à échelle humaine, d’arrêter d’entasser les gens comme des sardines dans les transports en commun, d’élargir la place aux piétons dans nos villes, a dit Mme Séguin-Lamarche.

« Ça pourrait être une façon de réinventer un petit peu notre mode de vie. »

Elle croit aussi que le gouvernement et la société devront se questionner concernant la souveraineté alimentaire et pharmaceutique de la province pour déterminer à quel point nous souhaitons demeurer dépendants de partenaires, qu’ils soient proches ou loin de nous.

« Ce sont des questions dont notre gouvernement et notre société vont devoir tenir compte et trouver de nouvelles façons de faire », a-t-elle dit.

Gouvernement et citoyens
La crise pourrait enfin modifier la relation entre le gouvernement et des élus qui risquent de lui demander des comptes une fois cette traversée du désert complétée.

« Il va falloir que le gouvernement par la suite écoute ses citoyens, parce que les citoyens vont dire, nous, on a fait notre effort, maintenant vous, c’est quoi votre réponse? », a indiqué Mme Séguin-Lamarche.

À tous les niveaux, rappelle-t-elle, il est possible de « consulter les citoyens pour voir finalement quelles sont leurs priorités », et ensuite mettre en place des programmes et des règlementations requis.

Chose certaine, le gouvernement a besoin de la collaboration de la population dans l’immédiat, et pour l’obtenir, les résultats devront être au rendez-vous, a prévenu Julie Ricard.

« Si notre attachement à l’objectif devient un peu lointain parce qu’on voit qu’il n’y a pas de résultats, ça se peut très bien qu’on décide que ça ne vaut pas la peine pour toute la complexité que ça engendre pour nous, a-t-elle mentionné. Si les gens comprennent vraiment pourquoi les règles sont en place, on a plus de chances qu’ils les suivent. »

SOURCE : Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne