Arpentant au cours de plusieurs voyages entre 2003 et 2014 le no man’s land, cette zone de la mort entre les deux lignes de front, française et allemande durant la Grande Guerre, la photographe canadienne Dianne Bos a saisi l’insaisissable, exhumé l’enseveli et poétisé le dramatique.
Intitulé The Sleeping Green (en référence au poème d’Isaac Rosenberg, Break of Day in the Trenches), le résultat de son travail, une trentaine de clichés saisis avec des appareils d’époque et recomposés avec des fragments recueillis sur place, est exposé au Musée des beaux-arts de Hamilton, du 7 avril au 23 septembre.
« En 2003, le 100e anniversaire Première Guerre mondiale approchant, j’ai visité plusieurs sites importants en Belgique, en Italie et en France, dont la crête de Vimy, où j’ai utilisé différents types d’appareils photographiques, raconte Mme Bos. Je voulais voir et sentir comment le temps avait changé le paysage de ces champs de bataille historiques, 100 ans plus tard. »
Dans ces lieux profondément meurtris par la folie humaine, remodelés par les explosions et balisés par de colossaux mémoriaux, la nature a amplement repris ses droits mais les stigmates du conflit sont encore perceptibles. Évitant les monuments et photographiant dans un premier temps les champs, les forêts et les étangs dans leur état brut, Dianne Bos s’est orientée ensuite vers une démarche plus délibérée, guidée par la poésie et l’écriture sur la guerre, avec la complicité du professeur Harry Vandervlist.
« En lisant des poèmes et des comptes rendus de guerre, on s’est dit qu’il était difficile de construire un rapport authentique entre l’endroit et l’histoire, signale M. Vandervlist. Pour pénétrer ces couches de représentions déjà existantes, on a essayé de construire un rapport à nous-mêmes avec l’endroit. Cette expérience actuelle et proprement personnelle a conduit Dianne à renouveler l’image et la façon de penser ces lieux encore connectés aux années de guerre. »
Pour donner corps à sa démarche, la photographe albertaine a réalisé des prises de vue en se mettant dans la peau d’un soldat (photographiant en position couchée et visant le ciel, la terre, la surface de l’eau) et a utilisé un dispositif méconnu d’une incroyable simplicité : le sténopé. Populaire dans les années 1920, cette boîte étanche à la lumière, sans viseur ni objectif, lui a permis non pas de capter un instant (ce qu’on attend d’une photographie moderne) mais le passage du temps. Cette façon d’enregistrer la lumière au cours d’une très longue exposition a généré sur ses images des ombres et autres effets fantomatiques qui entretiennent le lien entre le présent et le passé. « L’histoire est encore dans le paysage », abonde M. Vandervlist.
De retour à Calgary, s’inspirant des techniques du surréaliste Man Ray, Mme Bos a introduit des éléments au cours du processus de tirage, en chambre noire. Jetés au hasard à même le papier puis roulés au moment d’exposer le négatif à la lumière, des objets trouvés sur les champs de bataille (feuilles, cailloux, balles, etc.) sont venus se superposer à l’image originale, donnant naissance à des photogrammes improvisés et uniques, impossibles à reproduire.
Au terme d’une centaine d’essais, le hasard – celui-là même qui décidait de la vie ou de la mort en 1914-1918 – a fait son œuvre et 36 images ont donné un résultat, révélant la profondeur affective de ces endroits. « Ces images n’offrent pas seulement une représentation topographique : elles visent aussi à rendre visible l’invisible d’un terrain hanté par l’émotion et le passage du temps », interprète Dianne Bos, dont les œuvres s’accompagnent de poèmes d’époque, faisant revisiter, cent ans après, ces lieux de la mémoire, terreau de l’identité canadienne. Après Paris et Vancouver, les voici au Musée des beaux-arts de Hamilton.
© Photos Dianne Bos