Mariette Carrier-Fraser dit tout haut ce qu’elle pense. Là où les fonctionnaires évitent le sujet et les ministres choisissent leurs mots, tout en retenue et en manières, cette figure de la francophonie ontarienne n’hésite pas une seconde à mettre les pieds dans le plat. C’est sans doute cette franchise qui a contribué à débloquer bien des dossiers francophones depuis plus de 20 ans, particulièrement dans l’éducation et la santé.
Invitée à faire un état des lieux de la francophonie ontarienne lors du dîner-réseautage du Regroupement des intervenants francophones (RDIF) le 21 mars à Hamilton, la présidente du Conseil consultatif pour les services en français auprès du ministère de la Santé a évoqué plusieurs dossiers sensibles qui devraient connaître une évolution significative dans les prochains mois.
Alors que le gouvernement provincial s’est engagé à créer 30 000 nouveaux lits d’ici 2025 dans les établissements de soins de longue durée, l’attente est forte au sein de la communauté confrontée à des files d’attente record pour ses aînés. « Les francophones sont disséminés, deux-trois lits par-ci, deux-trois lits par-là, a-t-elle déploré… On devrait les rassembler, mieux planifier tout ça, par exemple à Hamilton en se servant des maisons qui existent déjà. Les personnes âgées ont des besoins différents qu’il faut prendre en compte. Souffrant parfois de perte de mémoire ou de démence, elles perdent même leur deuxième langue, ne comprenant plus que le français. C’est vital de les prendre en compte. »
Lors de ce dîner initié par l’ACFO Régionale Hamilton, Mme Carrier-Fraser s’est aussi largement exprimée sur l’offre en français des services de santé, plaidant pour plus d’équité, à défaut d’égalité. La récente étude du commissaire aux services en Français a mis en exergue l’urgence de moderniser et de simplifier le processus de désignation des organismes qui les dispensent. Le gouvernement s’est d’ailleurs engagé à réexaminer le système pour accroître l’offre de services en français. « Desservir les francophones dans leur langue est un droit, a-t-elle rappelé. On ne peut pas s’attendre à ce que tous les services soient disponibles en Ontario. Ce n’est pas possible et ce n’est pas ce qu’on demande. Mais on s’attend à ce que là où une masse critique est atteinte, des services soient assurés », a-t-elle asséné, insistant sur le rôle des Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS), trop peu connus, et pourtant si essentiels. « Les RLISS jouent un rôle central. Ils doivent s’assurer que les services sont effectifs. On devrait tous les connaître. Vous les connaissez, vous? »
Enseignante de carrière et ancienne sous-ministre de l’Éducation, à l’origine de la création des 12 conseils scolaires de langue française de l’Ontario et du Collège Boréal, Mariette Carrier-Fraser a énuméré les nombreux progrès accomplis dans l’éducation, avec un bémol en forme d’invitation au dialogue. « Les choses vont bien mais pourraient toujours aller mieux, notamment dans le niveau de collaboration entre les conseils scolaires. Quand tu partages avec quelqu’un, tu ne deviens pas plus pauvre mais plus riche. C’est important de se parler, travailler ensemble, s’enrichir des deux côtés. »
Elle a par ailleurs accueilli la création de la future l’université de l’Ontario français entre doute et espoir. « J’ai des inquiétudes à savoir si ça va aboutir ou non. Je l’espère. Nos jeunes ont le droit à une éducation de qualité en français. Les écoles leur donnent les outils jusqu’en 12e année mais après? C’est à nous de les convaincre. »
Optimiste, se disant travailler « avec la tête et le cœur », l’ancienne présidente de l’AFO, du Club Richelieu Hamilton et du Centre de santé communautaire de Hamilton-Niagara voit d’un bon œil le changement d’attitude dans les ministères : « Les choses ont évolué. On peut voir la différence. On a mis les fonctionnaires en face de leurs responsabilités. Il faut continuer dans cette voie. »