Lise Denis
Il y a cinq ans, des milliers de Franco-Ontariens se rassemblaient pour dénoncer les compressions de Doug Ford dans les services en français. Si les relations avec le gouvernement se sont depuis « normalisées », les organisateurs se souviennent d’un mouvement sans précédent qui a « soudé » la communauté et lui a appris à être « toujours aux aguets ».
La mobilisation « a été plus forte que jamais en Ontario », raconte au Devoir Alain Vachon, qui a coordonné le mouvement à l’échelle provinciale. « Ça été la plus grande manifestation de notre histoire. »
Le 15 novembre 2018, en dévoilant son énoncé économique, le gouvernement de Doug Ford annonce de façon « très abrupte » qu’il met fin au projet de création de l’Université de l’Ontario français et qu’il abolit le Commissariat aux services en français. Cette journée, qualifiée de « jeudi noir », a été un « choc » pour les Franco-Ontariens, témoigne le directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Peter Hominuk.
« C’était un dur coup. Notre commissaire, on comptait beaucoup sur lui, et on comptait beaucoup sur l’arrivée de cette nouvelle université, qui était un rêve des Franco-Ontariens depuis plusieurs années. »
Un mouvement de résistance s’organise et quelque 14 000 personnes manifestent le 1er décembre aux quatre coins de la province. « La magie de cette manifestation monstre, c’est qu’elle pouvait se faire chez nous. Chez nous à Hearst, chez nous à Toronto, chez nous à Hawkesbury, et chez nous à Ottawa. Tout l’Ontario était mobilisé », explique M. Vachon.
Pour le conseiller en mobilisation communautaire, le plus grand défi « a été de répondre à la demande », d’envoyer des mégaphones, des bannières et des drapeaux assez rapidement dans les régions.
« Les gens ont pris en main les manifestations locales », dit M. Hominuk. « L’objectif était simple : on n’allait pas se faire avoir encore une fois », ajoute M. Vachon.
Le soutien aux Franco-Ontariens s’est manifesté dans « presque toutes les provinces », se remémore M. Hominuk. Le drapeau vert et blanc a notamment été hissé à l’Assemblée nationale du Québec.
Quand on vit dans des communautés francophones hors Québec, de savoir qu’on n’est pas tout seuls, de savoir qu’on fait partie d’une francophonie canadienne, ça rassure beaucoup. «
Franco-Ontariens, et fiers de l’être
Ce qui a marqué le directeur général de l’AFO, en poste depuis 2012, c’est que « tout s’est fait sans incident ». « C’était une affirmation très positive d’être francophone, puis je trouve qu’on ressort de toute cette saga de la résistance franco-ontarienne plus forts, plus soudés. »
« J’ai eu l’impression que c’était la journée où on a cessé de se justifier en tant que Franco-Ontariens, et on a commencé à s’assumer », renchérit Patrick Bourbonnais, qui a participé aux manifestations pour empêcher la fermeture de l’hôpital francophone, Montfort, à la fin des années 1990. Près de 20 ans plus tard, le gestionnaire d’événements était chargé de « monter le site du rassemblement » à Ottawa.
Plusieurs politiciens, dont Mélanie Joly, alors ministre de la Francophonie et des Langues officielles, le caquiste Mathieu Lacombe, ou encore la députée ontarienne Amanda Simard, qui avait claqué la porte du caucus conservateur en réaction à la décision de son gouvernement, ont participé aux manifestations à travers la province.
« Les politiciens étaient rendus dans la foule avec les gens, se souvient M. Bourbonnais en décrivant l’ambiance dans la capitale fédérale. À ce moment-là, il n’y avait plus de classe sociale, on ne formait qu’un. »
De nombreux artistes se sont eux aussi investis, souligne celui qui est aujourd’hui coprésident de l’agence de diffusion 49e parallèle. « Mon téléphone sonnait toutes les heures pour nous proposer des services gratuitement. »
« Ça m’avait vraiment secouée, puis je me disais qu’en tant qu’artiste, j’aimerais faire quelque chose pour ma communauté », raconte Mélissa Ouimet, qui a « tout de suite dit oui » à l’invitation de Patrick Bourbonnais. Elle s’entoure alors d’artistes pour réinterpréter Personne ne pourra m’arrêter, écrite en 2015, en modifiant une portion de sa chanson (Personne ne pourra changer / Ma voix, mon identité / Et quand ça tremble trop fort / On se rassemble dehors / Maintenant et pour demain / On se lève).
« On dirait que cette chanson-là avait été écrite pour la cause des Franco-Ontariens, commente Mme Ouimet. Pour moi, c’était important de ne pas juste prendre des artistes franco-ontariens, parce que j’avais envie qu’on sente qu’on est unis partout au pays. »
Le titre, devenu un hymne de résistance, est encore chanté dans les écoles par de nombreux enfants, se réjouit-elle.
Des relations normalisées
Cinq ans plus tard, la relation avec le gouvernement de l’Ontario « est beaucoup plus respectueuse », indique M. Hominuk, soulignant que la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, est « à l’écoute » de l’AFO.
Selon lui, plusieurs « pas en avant » ont été faits, comme le « retour du ministère des Affaires francophones » et la modernisation de la Loi sur les services en français de l’Ontario, qui implique l’instauration de l’offre active, obligeant certaines institutions à accueillir les usagers dans leur langue sans qu’ils aient besoin de le demander. L’installation d’une première lieutenante-gouverneure francophone est également un « geste fort », ajoute M. Bourbonnais, même s’il sent que les Franco-Ontariens sont « toujours aux aguets ».
« Dans un monde idéal », l’AFO aimerait toutefois que le commissaire aux services en français – finalement passé sous l’égide de l’ombudsman – redevienne « indépendant ».
Le dossier de l’Université de Sudbury, que le gouvernement Ford a refusé de financer en juin dernier, demeure à surveiller, même si M. Hominuk « reste convaincu qu’il y aura une conclusion favorable. Les Franco-Ontariens, on ne baisse jamais les bras. Puis quand on se fait dire non pour un projet, on revient avec un autre », conclut-il.
Source : la Presse canadienne / Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.