On entend les cailloux qui crépitent sous les roues de la voiture. On aperçoit l’immense sculpture du cardinal, perché au haut de sa vigne. On sent l’air frais et le doux parfum des fines herbes et de la verdure, poussés par le vent. Sans enseigne arborant un logo ou une invitation à venir déguster le vin, comme on en voit partout dans la vallée du Niagara, ce sont ces trois signaux qui nous indiquent que l’on est bel et bien arrivé au vignoble Pearl Morissette.
« Je n’ai jamais voulu avoir de salle de dégustation, comme tous les autres, puisqu’on ne voulait pas de l’achalandage. Je n’ai pas de signe avec mon nom sur la route, parce que c’est un engagement qui sous-entend une logistique que je n’ai jamais voulu avoir au domaine », explique le vigneron François Morissette.
Ainsi, ce ne sera jamais un hasard si l’on se retrouve chez Pearl Morissette, à Jordan, tout près de St. Catharines, que ce soit pour se procurer une bouteille ou pour profiter de la gastronomie haut de gamme offerte dans son restaurant.
Grâce au fruit de ses efforts, la production viticole de ce Québécois d’origine, Ontarien depuis 14 ans, dont la passion est de guider les raisins de la vigne au verre, s’est taillée une place primée parmi les plus appréciées du milieu.
Et c’est ce que François Morissette a toujours souhaité : « Mon but a toujours été de faire un vin de qualité internationale. »
Ses vins vieillissent dans une impressionnante variété de récipients, allant des barils en bois de chêne à d’énormes vaisseaux en ciment en forme d’oeuf, en passant par des amphores en céramique d’une taille plus grande qu’humaine; certaines de ses cuves sont très rares et sont consacrées à des techniques centenaires.
Ce n’est pas une coïncidence que ses cuvées soient inspirées grandement de la démarche du vin nature : François Morissette est connu au Québec comme faisant partie des pionniers de cette démarche telle qu’elle y est connue aujourd’hui.
En 1994, lorsqu’il travaillait au réputé restaurant montréalais Laloux, il a rencontré des gens qui l’ont exposé de plus près au monde viticole et qui l’ont inspiré à pousser sa passion encore plus loin.
« Je me suis retrouvé avec des gens très allumés et, nous, on rêvait de ce qui est aujourd’hui la restauration montréalaise. Le vin au verre, les petites assiettes. J’ai été exposé très tôt. J’ai été mis en rapport avec des vins de producteurs qui surpassaient largement les critères de leurs appellations, ou encore en mouvance nature. »
Repartir à zéro
Au domaine Pearl Morissette, les abeilles bourdonnent par milliers dans leurs ruches, mais on ne cultive pas leur miel. Des canards se promènent sur le vaste terrain du vignoble, mais on ne collecte pas leurs oeufs. Des vaches broutent le gazon, mais elles ne sont pas là principalement pour des fins de consommation humaine.
« Il faut de la vie à la ferme », lance le vigneron, tout bonnement.
Quand il est débarqué dans la vallée du Niagara, en 2007, il avait dans son baluchon plusieurs années d’expérience accumulées à Boulogne, en France, où il a passé beaucoup de temps à apprendre les rudiments du métier de vigneron.
« Moi, je ne suis pas quelqu’un qui rêvait de faire ça depuis que je suis tout petit. Pas du tout. Je suis tombé dans le monde du vin par hasard. Mon amour du vin a commencé par mon amour de la culture française.
« Adolescent, j’étais francophile. Je regardais des films français, qui étaient souvent en noir et blanc à l’époque, et dans ces films-là, il y avait toujours des scènes où ils se retrouvaient autour d’une table, et toujours autour de verres de vin, des verres duralex. Chez moi, à l’époque, la première bouteille de vin, c’est moi qui l’ai apportée à la maison. (…) On n’avait pas, au Québec à l’époque, ce rapport à la gastronomie, aux accords mets-vins, et moi, ça m’impressionnait de voir des gens qui avaient l’air content, ça bougeait, ça parlait, ça riait. Ça m’a marqué, cette image. »
Lors de son premier séjour en Europe, c’était purement pour amasser des fonds que François Morissette travaillait dans le milieu viticole.
« Là-bas, j’ai fait beaucoup de travail de vignes. J’ai passé presque un an complet en 1986 en Bourgogne. C’était une façon de gagner de l’argent. Je n’avais pas une cenne, et il fallait que je travaille. Je ne pensais pas encore que ce serait une passion, zéro. Il fallait que je mange. »
Ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi le Niagara ne l’intéressait pas, à son arrivée en Ontario. « Je revenais de Bourgogne, où il y a un haut niveau de prestige, un accès à des terroirs particuliers. C’était dur à battre. Le Niagara, j’y avais déjà été. J’avais déjà goûté aux vins et je n’avais pas été impressionné. »
Par ailleurs, M. Morissette juge que son identité québécoise ne l’a pas aidé à se faire des amis : « Si j’avais été Français, ça aurait été beaucoup plus facile ». Mais il ne s’est jamais voilé la face et n’a pas peur de révéler qui il est, fondamentalement.
« Je suis très méticuleux, très particulier quand ça vient au vin. J’ai toujours dit que je ne ferais aucun compromis, par rapport à tout ce qui touche le vin. J’en n’ai jamais fait. »
Ce perpétuel curieux souligne qu’il a encore beaucoup à apprendre et, que sa meilleure idée, il l’aura sur son lit de mort.
« J’ai bâti ce projet sur des bases d’authenticité », conclut François Morissette.
SOURCE – Émilie Pelletier, IJL, Le Devoir / La Presse canadienne
PHOTO (crédit: compte Facebook de Pearl Morissette) – Les installations du vignoble: le vin est vieilli dans des cuves de différents types.